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vie d isaac Delmare

Isaac Delmare

Prologue

Venise, l’an de grâce 1295

La brume s’accrochait aux eaux sombres du Grand Canal, et la ville, comme engourdie sous un ciel de plomb, semblait retenir son souffle. Une embarcation silencieuse glissa jusqu’au quai de San Polo. Un homme en descendit, courbé sous le poids d’années perdues.

Il n’avait plus rien du fier marchand parti vers l’Orient des décennies plus tôt. Ses vêtements en lambeaux dégoulinaient d’humidité, sa barbe emmêlée lui donnait l’allure d’un ermite. Ses yeux, en revanche, brillaient d’une lueur étrange—non pas celle du soulagement d’un homme rentré chez lui, mais celle de quelqu’un qui a vu trop de choses, trop de vérités que l’on préfère ignorer.

Un groupe de pêcheurs bavardait sur le quai, échangeant des nouvelles de la mer et du marché. L’un d’eux, un vieil homme voûté, s’arrêta net en apercevant l’étranger. Son visage perdit toute couleur.

— Par le Christ… Delmare ?

L’homme releva la tête. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire fatigué.

— Oui, Francesco. C’est moi.

Francesco recula d’un pas, comme si l’homme qui lui faisait face n’était qu’une ombre revenue d’entre les morts. Autour d’eux, le murmure des passants enfla.

— Impossible… souffla un autre pêcheur. On disait que tu étais mort sur la route de la soie ! Que tu avais été capturé par les Tartares ou dévoré par le désert !

Isaac Delmare haussa un sourcil, un éclat amer dans le regard.

— J’aurais préféré.

Les hommes échangèrent un regard inquiet.

— Alors où étais-tu ? demanda Francesco, à voix basse, comme si la réponse risquait d’attirer un mauvais présage.

Isaac resserra son étreinte sur le coffret de bois sculpté qu’il portait contre lui. Ses doigts amaigris en caressant la surface avec un mélange de révérence et de crainte.

— Si je vous le disais… vous ne me croiriez pas.

Un silence pesant s’abattit sur le quai. Le vent s’engouffra dans les ruelles, soulevant des volutes de brume entre les pavés.

— Essaie quand même, murmura Francesco.

Isaac hésita, puis entrouvrit lentement le coffret. L’odeur du vieux papier s’en échappe, mêlée à un parfum indéfinissable, un arôme venu d’ailleurs. À l’intérieur, des feuillets jaunis par le temps, couverts de croquis, de symboles étranges, de notes rédigées dans une écriture nerveuse.

Francesco y jeta un œil, fronça les sourcils.

— Qu’est-ce que c’est ?

Isaac inspira profondément.

— La preuve d’un monde que l’on ne doit pas connaître.

Il referma le coffret d’un geste brusque.

— Et certains feront tout pour s’assurer qu’il reste oublié.

Un courant d’air plus froid que la lagune siffla entre les bâtisses de Venise, faisant frissonner les témoins de cette scène irréelle. Au loin, le clocher de San Marco sonna l’heure, mais aucun d’eux ne put dire si c’était celle du retour… ou du début d’une nouvelle malédiction.

 

*"On croit toujours choisir son destin. Mais parfois, c’est lui qui nous choisit. Quand j’ai quitté Venise en 1271, je pensais partir en simple marchand. Je n’imaginais pas que ce voyage m'arrachait à mon monde et me conduirait aux portes de l’inconnu.

Voici l’histoire de ma chute. Voici le récit de mon dernier voyage.

 

 Chapitre I – L’Appel du Lointain

Venise, l’an de grâce 1271

Venise, l’an de grâce 1271

On croit toujours choisir son destin. Mais parfois, c’est lui qui nous choisit.

Ce matin-là, une brume légère flottait sur la lagune, drapant Venise d’un voile irréel. Les premières lueurs de l’aube se reflétaient sur les eaux calmes du Grand Canal, transformant les palais en spectres dorés. L’air était chargé de sel, d’humidité et du parfum des épices entreposées sur les quais.

Dans l’agitation du port, les marchands criaient leurs prix, les marins ajustaient les cordages, et les pigeons picorent les miettes laissées par les ouvriers au petit matin. C’était une scène familière, une de celles que j’avais vues mille fois. Pourtant, aujourd’hui, tout semblait différent. Aujourd’hui, je partais.

Les adieux

Mon père se tenait à quelques pas, les mains jointes derrière le dos, sa silhouette rigide contrastant avec l’effervescence du port. Il portait une tunique de velours sombre, sobre mais élégante, signe de son statut de marchand respecté. Son regard perçant me scrutait, impassible, mais je connaissais trop bien cet homme pour ignorer ce qui se cachait derrière ce masque de fermeté : l’inquiétude, mêlée à une pointe d’orgueil.

— N’oublie pas pourquoi tu pars, Isaac, déclara-t-il enfin. Les récits d’aventure font rêver, mais ils ne nourrissent pas une famille. Tu dois revenir avec des richesses, pas des légendes.

Je hochai la tête sans répondre. Nous savions tous les deux que mon ambition allait bien au-delà du commerce. Mon père avait toujours vu le monde comme un marché infini, un échiquier de profits et de pertes. Moi, je le voyais comme un mystère à élucider, une promesse d’inconnu qui me brûlait l’âme depuis l’enfance.

À ses côtés, ma mère essuyait discrètement ses larmes avec un mouchoir brodé. Elle n’avait pas cherché à me retenir, mais son silence était plus douloureux que n’importe quelle supplique.

— Écris-nous, mon fils. Que Dieu veille sur toi.

Sa voix tremblait légèrement, mais elle s’efforçait de sourire.Je m’approchai et déposai un baiser sur sa main.

— Je reviendrai, mère.

C’était un mensonge. Je ne savais pas si je reviendrais.

Le départ

La caravelle qui devait me mener jusqu’à Acre était prête. Les voiles immaculées se gonflaient déjà sous la brise matinale, impatientes de s’élancer vers le large. Les matelots s’affairaient à charger les dernières caisses, sous les ordres d’un capitaine à la barbe hirsute qui aboyait des instructions dans un dialecte mêlant italien et arabe.

Lorsque je posai le pied sur le pont, un frisson me parcourut. Ce n’était pas la peur. C’était l’excitation brute, celle de celui qui quitte tout pour embrasser l’inconnu.

Alors que l’embarcation s’éloignait lentement du quai, je levai les yeux une dernière fois vers la ville qui m’avait vu naître. Les dômes de San Marco scintillent sous le soleil levant, tandis que les cloches du Campanile sonnaient l’heure matinale.

Venise s’effaçait peu à peu dans le brouillard.

J’avais vingt ans. Je croyais partir à la conquête du monde.

J’ignorais que c’était lui qui s’apprêtait à me dévorer.

Vous avez dit :

:

? Chapitre I – L’Appel du Lointain

Venise, l’an de grâce 1271

L’aube naissant baignait la lagune d’une lumière dorée, douce et irréelle. Une brume légère flottait sur l’eau, enveloppant les palais de Venise d’un voile éthéré, comme si la ville elle-même hésitait entre le rêve et la réalité.

Le Grand Canal, artère vivante de la Sérénissime, s’éveillait dans une cacophonie familière : le clapotis des rames contre les gondoles, les cris des marchands vantant leurs étoffes et épices, le martèlement sourd des charpentiers de l’Arsenal.

Mais au cœur de cette agitation matinale, un homme se tenait immobile sur un quai de pierre, observant la mer comme s’il pouvait y lire son avenir.

Cet homme, c’était moi.

Isaac Delamare, fils de marchand vénitien, sur le point de quitter tout ce qu’il connaissait.

Le port en effervescence

Le port bourdonnait d'activités. Des dockers courbés sous le poids des caisses de marchandises allaient et venaient, suant sous le poids des ballots de soie et des sacs d’épices en provenance de Byzance ou d’Alexandrie. L’odeur entêtante du sel, du poisson et des agrumes emplissait l’air, mêlée aux effluves plus exotiques du poivre et du musc.

Une caravelle battant pavillon vénitien se balançait doucement à quai, sa coque massive caressée par les vagues. C’était à bord de ce navire que je partirais. Vers l’inconnu. Vers la Route de la Soie.

Sur le pont, des marins à la peau tannée par le soleil déchargeaient les dernières cargaisons avant le départ. L’un d’eux, un homme trapu aux bras noueux, épousseta les mains et s’adressa à un capitaine vêtu d’un manteau sombre.

Les dernières caisses sont chargées, Messire Giovanni. On sera prêts d’ici l’heure.

Le capitaine acquiesça sans un mot. Il était de ceux qui n’aiment pas perdre de temps en paroles inutiles.

Moi, j’attendais encore.

Sur le quai, mon père se tenait droit, le visage figé dans une expression qu’il réservait aux négociations les plus serrées. Il n’était pas un homme qui s’attardait sur les sentiments. Pourtant, je sentais l’inquiétude sous son masque d’austérité.

— N’oublie pas pourquoi tu pars, Isaac, déclara-t-il enfin. L’Orient est un rêve pour les fous et un mirage pour les insensés. Mais pour les hommes de raison, il est un marché. Tu pars en marchand, non en explorateur.

Je hochai la tête. Il savait, pourtant. Il savait que ce n’étaient pas les richesses de la soie et des épices qui m’attiraient.

Mais il ne pouvait pas comprendre.

Depuis l’enfance, j’étais hanté par l’idée de ces terres lointaines, par les récits de voyageurs et d’érudits qui décrivaient un monde bien plus vaste que nos cartes ne l'admettent.

Ma mère se tenait à ses côtés, le visage partiellement voilé par un foulard en dentelle. Elle n’avait pas essayé de me convaincre de rester. Elle connaissait l’appel qui brûlait en moi. Mais ses yeux brillaient d’inquiétude.

— Écris-nous, mon fils. Que Dieu veille sur toi.

Sa voix tremblait légèrement, mais elle s’efforçait de sourire.

Je pris sa main dans les miennes et y déposa un baiser.

— Je reviendrai, mère.

Mensonge.

Qui peut savoir s’il reviendra d’un tel voyage ?

Le vent du départ

Un marin lança l’ordre de lever l’ancre.

Je montai à bord, le cœur partagé entre l’excitation et un pincement que je refusais d’identifier comme du doute. Lorsque le navire s’éloigna lentement du quai, je jetai un dernier regard vers Venise.

Les dômes de San Marco étincelaient sous le soleil levant, les silhouettes de la ville s’estompant peu à peu dans la brume.

Un instant, j’eus l’impression que Venise elle-même me regardait partir, silencieuse et impassible.

J’avais vingt ans. Je croyais partir à la conquête du monde.J’ignorais que c’était lui qui s’apprêtait à me dévorer.




 

 Chapitre II – L’Exil et la Tempête



 

 Chapitre II – La Route de la Soie

Quelque part entre la Perse et les Montagnes du Pamir – 1272

Il m’est difficile, aujourd’hui encore, de me rappeler avec exactitude les épreuves de cette route. Les souvenirs se mêlent aux cauchemars, les voix d’autrefois résonnent dans mes nuits blanches. Je ne sais plus si ce sont des échos du passé ou si quelque chose, là-bas, continue de m’appeler.

Mais les pages de mon carnet sont toujours là. Jaunies, fragiles, tâchées par le sable et l’encre délavée.

Alors, peut-être vaut-il mieux les laisser parler à ma place.

 

? Traversée de la Perse – La Route des Marchands

?"Tout voyage commence par un rêve. Mais sur la Route de la Soie, les rêves ne durent jamais longtemps."

? Carnet – 15 avril 1272 – Ispahan
"Ispahan, cité d’or et d’azur. Les rues y sont plus animées qu’un marché vénitien en pleine foire. (...)
Demain, nous partons vers le désert. J’ai hâte. J’ai peur."

Je relis ces mots et ne peux m’empêcher d’amertume.J’étais jeune, avide de découvertes. Tout m’émerveillait. Mais ce que mon carnet ne dit pas, c’est ce que les marchands d’Ispahan murmuraient à voix basse.

Une caravane aurait disparu il y a un mois. Engouffrée par le désert.Personne ne l’a jamais retrouvée.

Et moi, inconscient, j’étais impatient de suivre ce même chemin.

 

?️ L’Enfer du Désert

? "Il existe deux types de voyageurs : ceux qui respectent le désert et ceux qu’il ensevelit."

? Carnet – 27 avril 1272 – Désert du Kyzylkoum
_"Le désert. L’épreuve ultime du voyageur. (...)
Mais ce n’est pas cela qui me trouble. Ce matin, l’un des guides s’est arrêté en plein désert et a fixé l’horizon.

— Il nous suit.

— Qui donc ? lui ai-je demandé.

Il a craché dans le sable et n’a pas répondu."_

Il savait.

Je ne l’ai compris que bien plus tard. Le désert n’est jamais totalement vide.

 


⚔️ Les Ombres du Désert – L’Attaque des Pillards

? "On dit que la nuit porte conseil. Moi, j’ai appris qu’elle porte aussi la mort."

La nuit où ils sont venus, nous étions fatigués. Trop fatigués Le feu du camp crépitait faiblement au centre de notre cercle de tentes. Nos montures dormaient, attachées aux piquets, et nos gardes tournaient en rond, les yeux mi-clos, la main sur le pommeau de leurs cimeterres.

J’étais en train d’écrire dans mon carnet lorsque j’ai entendu un sifflement.

Puis un cri.

? Carnet – 3 mai 1272 – Quelque part dans le désert
"Ils sont venus comme des ombres. Une silhouette, un sifflement, puis le hurlement d’un homme frappé par une lame invisible. (...)
J’ai cru que j’allais mourir."

J’aurais dû mourir.Mais quelqu’un m’a sauvé.

Corrado, notre chef de caravane, s’est interposé au dernier moment. D’un coup sec, il a tranché la gorge de mon assaillant, qui s’est effondré à mes pieds dans un gargouillement écœurant.Son sang a éclaboussé mes bottes.

— Prends une arme, Vénitien, ou prépare-toi à creuser ta propre tombe !

J’ai ramassé une dague d’une main tremblante.

Ce fut la première fois que je comprenais la vraie nature de la Route de la Soie. Ce n’était pas un sentier bordé d’or et d’étoffes précieuses.

C’était une route de cendres et de larmes.

 


?️ Les Montagnes du Pamir – Le Toit du Monde

Nous pensions avoir survécu au pire. Nous avions tort."

Nous avons survécu aux pillards, mais notre caravane était brisée. Beaucoup étaient morts. Certains avaient déserté.Nous n’avions plus d’autre choix que d’avancer.Les montagnes du Pamir s’élevaient devant nous, majestueuses et impitoyables. Là-haut, tout était différent. Le désert nous avait brisés par sa chaleur. Ici, c’était le froid qui nous rongeait.

? Carnet – 18 mai 1272 – Ascension du Pamir
"L’air est si mince que chaque pas est une épreuve. (...)
Ce silence absolu, comme si même Dieu avait abandonné ces sommets."

Mais cette nuit-là, je n’ai pas dormi.Parce que quelque chose, quelque part, nous observait.

? Carnet – 20 mai 1272
_"J’ai vu une lueur dans la nuit. Au loin, sur les crêtes enneigées. Un feu ? Un mirage ?

Corrado dit que ce sont des nomades. Mais pourquoi ne s’approchent-ils pas ? Pourquoi nous observent-ils de si loin ?"_

Je me souviens encore du regard de Corrado ce soir-là. Il mentait.Et moi, j’étais trop aveugle pour comprendre.

 


⚠️ Le Pressentiment

: "Tous les chemins mènent quelque part. Mais certains ne permettent pas de revenir."

Ce que mon carnet ne dit pas, c’est que nous n’étions pas seuls.

Les feux que j’avais vus, le silence oppressant des montagnes, les murmures portés par le vent… Ce n’était pas l’effet de l’altitude.

Quelque chose nous suivait.Et bientôt, j’allais découvrir que notre route ne menait pas seulement à la cour du Grand Khan.Elle menait vers l’oubli.

 

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